Géographie cadastrale

Carte corse

Utilité du cadastre

La quête de ses ancêtres se trouve renforcée par la connaissance de leur implantation géographique. Si la simple détermination de leur paroisse, puis commune, de rattachement se révèle essentielle pour l’orientation de ses recherches généalogiques, l’approfondissement du détail de leur territoire de vie est de nature, notamment en milieu agricole, à restituer le quotidien de leurs activités et déplacements et à constater aussi bien les permanences d’un paysage qui ramène à l’apaisante continuation de la chaîne des temps, que certaines évolutions topographiques qui incitent à en explorer l’historique.

Si la pérégrination physique, par le biais de balades sur les sentiers et chemins, demeure la méthode d’observation la plus agréable, sa préparation ou son remplacement est néanmoins rendu possible par un attentif examen cartographique.

Les cartes réalisées par l’Institut géographique national, notamment celles au 1/25000, héritières des travaux réalisés pour la confection des cartes d’état-major du XIXe siècle et rendues aujourd’hui toujours plus précises du fait de leur confection par observation satellite et de leur régulière mise à jour consultable sur le Géoportail, restent la référence absolue en la matière. Mais, sauf à constituer une collection des cartes issues de la projection dite de Bonne et réalisées par les ingénieurs géographes depuis les premières tentatives de 1818, elles ne permettent pas de rendre compte des modifications temporelles.

Particulièrement précieuse est donc la compulsion du cadastre napoléonien. Ce dernier, institué par la loi du 15 septembre 1807, dans la lignée des plans terriers du XVIIIe siècle et de la loi des 16-23 septembre 1791 qui prescrivait la levée des plans de masse des communes divisées en sections et parcelles, a pour but de rendre compte de la propriété de chaque parcelle et de servir d’outil fiscal dans la détermination de leur valeur foncière. Cette ambition, proclamée dans les articles 1143 et 1144 du Recueil méthodique des lois, décrets, règlements, instructions et décisions sur le cadastre de la France  approuvé par le Ministre des Finances de 1811, ouvre sur sa constitution, durant tout le XIXe siècle, qui ne voit son achèvement qu’en 1850 sur la majeure part du territoire continental et en 1889 en Corse. Composé d’un plan parcellaire, il comprend également un état de section qui répertorie les différentes propriétés contenues dans une section, ainsi qu’une matrice qui récapitule la liste des biens et de leur valeur pour chaque propriétaire.

Rénové par la loi du 16 avril 1930, assorti d’un enregistrement obligatoire de toute mutation immobilière à la Conservation des Hypothèques par les décrets des 04 janvier et 30 avril 1955, remanié par la loi du 18 juillet 1974, sa répartition parcellaire est consultable en ligne dans son actuelle version sur le site du Ministère des Finances.

Toujours divisé en sections et feuilles, sa comparaison avec le cadastre napoléonien, qui pour Mela remonte à 1858 et est visible sur le site des archives départementales de la Corse-du-Sud comme sur celui de la Haute-Corse, s’avère des plus intéressantes.

Le cadastre napoléonien de 1858 de Mela

Le cadastre napoléonien de 1858, réalisé à une époque où la population villageoise est nombreuse et met en valeur la terre, rend compte des délimitations et dénominations spatiales qui avaient alors cours et permet, à travers elles, de prendre conscience des particularités naturelles et des constructions humaines qui émaillaient et, pour certaines, continuent d’émailler l’ensemble communal.

Tout au nord, la première feuille de la section A, qui recense les parcelles numérotées de 1 à 100, dresse comme bornes, d’ouest en est, Foce de Lugo et le rocher de Tozzo de Braccone, qui encadrent Orutelli, ceinturé en son bas par le chemin d’Altagène à Levie. En contrebas de ce dernier et surplombant la route forestière allant de Sainte-Lucie à Solenzara, Calaraggio et Giotello se terminent à l’est par le coteau de Pila et la pointe de Calvosaggia. Le chemin de Mela, qui double par le bas la route forestière, est bordé en son sud par Mortido et coupé, à l’ouest, par le ruisseau de Pirato, et à l’est par deux petits affluents du ruisseau de Verginetto, lequel servant de démarcation d’avec le territoire communal de Levie précipite la fraicheur de ses eaux à Piscia de Sarrello, avant que de s’écouler vers le sud.

A la hauteur du village lui-même, la deuxième feuille de la section A, qui regroupe les parcelles numérotées de 101 à 227, voit Chioze séparé de l’agglomération, à l’est, par le ruisseau de la fontaine. Le village, qui compte alors une quarantaine de bâtiments, s’ouvre vers le sud par le chemin du moulin, dont l’intitulé traduit l’existence d’une activité de meunerie.

En dessous du village, la troisième feuille de la section A, qui mentionne les parcelles numérotées de 228 à 342, montre, à l’ouest Affaciata qui est bordé, en son sud, par le coude occidental du ruisseau de Mela et qui, traversé par le chemin de service qui file vers le sud, fait place à Monti à l’est. Le territoire se réunit, au sud, à Coaccia, qui se trouve sur le même parallèle que la pointe de Bonifacio. Scolca, qui se situe en contrebas de la séparation que fait, au niveau de la parcelle 298, le chemin de Mela entre, à l’ouest le chemin du moulin et, à l’est le chemin de service, est comme une enclave terrestre au sein du règne aqueux, limitée qu’est cette portion par le ruisseau d’Orsiglia à l’ouest et le ruisseau de Colombella à l’est qui, tous deux, se jettent dans le Fiumicicoli qui s’écoule au sud et sépare Mela de son hameau de Foce.

Au sud du Fiumicicoli, la première feuille de la section B, qui détaille les parcelles numérotées de 1 à 125, mentionne d’abord Mortido, qui est traversé par le chemin qui va de Levie à la plaine, bordé à l’est par la fontaine de Mammelo, la crête de la Calcina et, au sud-est, les ruisseaux de la Margine et d’Oriolo qui assurent la séparation avec Levie. Giolato, au sud-ouest, est bordé à l’est par le ruisseau de Bise.

Sur un espace encore plus méridional, la deuxième feuille de la section B, qui décompte les parcelles numérotées de 126 à 274, montre Cataraggio, puis Calzo, limités à leur occident par le ruisseau de Bise et à leur orient par celui d’Oriolo, et s’échappe sur Collette Sottano, qui débouche sur la grosse dizaine de bâtiments du hameau de Foce.

Enfin, la troisième feuille de la section B, qui expose les parcelles numérotées de 275 à 290, fait descendre les limites occidentales de la pointe de Pratonnaccio, à celle de Pratocampio et jusqu’à celle de Terricciola, lorsque celles orientales continuent d’être mouillées par le ruisseau d’Oriolo et, en leur sud-est, par son affluent de Monticello.

 

Si des imprécisions voire quelques inexactitudes peuvent probablement être contenues dans cette cartographie ancienne, il reste amusant de les mettre autant en parallèle avec le cadastre moderne, qui rend compte de la transformation du bâti, qu’avec le dernier relevé IGN, sans conteste plus exact dans sa précision topographique. Il n’en demeure pas moins que le cadastre ancien est en mesure de délivrer quelques passionnantes informations historiques.

Il peut néanmoins sembler paradoxal que seul le site américain de Google Map renseigne sur la toponymie des quartiers du village qui, du Calvaire jusqu’à l’ancienne Maison Villanova, dévide les appellations coutumières d’I Pianelli, Poggio della Chiesa, Campana, Orto Piano et Matteaccia.

Positionnement géographique de Mela

I) Situation générale de l’Alta Rocca

Mela se situe dans la partie méridionale de la Corse, que l’on désignait traditionnellement comme l’Au-Delà-des-Monts, l’ancienne Terra dei Signori, dans l’arrière-pays sartenais, au sein de la région de l’Alta Rocca, qui est délimitée au Nord par le Plateau du Coscione et le Monte Incudine, en descendant à l’Est par les Aiguilles de Bavella et le massif de l’Ospedale, au Sud par la Montagne de Cagna et, en remontant à l’Ouest par la Punta di U Carbone et la Punta di I Cavaletti, espace qui correspond globalement à la haute et moyenne vallée du fleuve Rizzanese, ainsi qu’au bassin versant de son affluent du Fiumicicoli.

Jusqu’au décret n° 2014-229 du 24 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Corse du Sud qui, faisant fi des anciens rattachements aux pièves et dispersant les communes de l’Alta Rocca entre le sixième canton de Bavella (pour San-Gavino-di-Carbini avec ses hameaux de Gualdariccio, Giglio et Sapara Maio et Zonza avec ses hameaux de Carabona et Piaccionitoli), le septième canton du Grand Sud (pour Carbini avec ses hameaux d’Orone, Foci d’Olmu et Noci et Levie avec ses hameaux de Carpolitano, Marangona, Pantano, Radici, Tirolo et Vignaledda) et le neuvième canton du Sartenais-Valinco (pour Altagène avec ses hameaux de Casanova, Foce, Manchianu, Parata et Piantuleddu, Aullène, Cargiaca avec ses hameaux de Puzza et Zizzi, Loretto-di-Tallano avec son hameau de Muratu, Mela avec son hameau de Foce-di-Mela, Olmiccia avec ses hameaux de Cori Vecchiu, Cori di Ghjaddu et Ribba Tortone, Quenza avec ses hameaux de Cantoli et Veta, Serra-di-Scopamene avec ses hameaux de Chiesa, Acqua Fritta et Vangonu, Sorbollano avec ses hameaux de Casi Subrani, Costa Di Soli, Valdarello, Matelot, Poghju, Chedi Anghjulellu, Chedi Filippi, Chedi Bartolo et Chedi Petru, Sainte-Lucie-de-Tallano avec ses hameaux de Bisé, Casabianca, Chialza, Compoli, Cudetta, Matra, Orio, Poggio, Saint-André et Tasso, Zerubia et Zoza avec son hameau de Cavanello), la région se composait des cantons de Tallano-Scopamene, issu de la fusion effectuée en 1973 des cantons de Sainte-Lucie-de-Tallano et de Serra-di-Scopamene, et de Levie.

Le mieux reste encore, pour leur description d’ensemble, de laisser la parole aux géographes, notamment à ceux qui les ont visités au XIXe siècle, en un temps qui précède l’exode rural et les connait donc au summum de leur population, de la répartition de leur habitat et du dynamisme de leurs activités agricoles et pastorales. Voici ce qui, en un périple circulaire suivi dans le sens de la marche des aiguilles d’une montre, et en une parole, parfois empreinte de poésie, qui colore le tableau de touches si vivantes pour la peinture des réalités de ces communautés montagnardes, peut être dit sur les anciens cantons de Sainte-Lucie-de-Tallano, de Serra-di-Scopamene et de Levie.

Pour le premier, avec le sérieux du savant, Francesco Costantino Marmocchi (1805-1858) indique, dans son Abrégé de la Géographie de l’Île de Corse, paru à Bastia en 1852 :

« A l’Est du canton d’Olmeto est situé celui de Sainte-Lucie de Tallano, ancienne Piève d’Attalà qui tire son nom d’une montagne sur le versant horizontal de laquelle sont étroitement groupés les villages les plus considérables du canton : Sainte-Lucie, Saint-André, Poggio et Olmiccia. La population est presque toute concentrée dans le Nord du canton, partie principalement constituée de pâturages. On y trouve les villages d’Altagène, de Zoza, de Loretto di Tallano, de Cargiaca et de Mela. Sainte-Lucie conserve encore vive la mémoire de Renuccio della Rocca, dernier des grands feudataires de la Corse ; mais le couvent des Franciscains, principale cause de l’illustration de ce personnage, est mutilé et presque détruit : l’église seule est restée intacte ; on y voit le tombeau en marbre de Serena, pieuse et chaste fille du seigneur de ces lieux. La chaîne de collines, qui en se prolongeant au Sud du mont de Tallano sépare les eaux du Rizzanese et du Fiumicicoli, cache dans son sein une des plus curieuses, des plus splendides et des plus dures productions de la nature : le granit orbiculaire. […] Cette partie méridionale du canton de Sainte-Lucie, si riche en roches précieuses, est, pour ainsi dire, un désert. »

L’abbé François-Antoine Girolami-Cortona (1839-1919), quarante ans plus tard, davantage lyrique, ajoute, dans sa Géographie générale de la Corse, parue à Ajaccio en 1893 :

« Au Sud du canton de Serra est celui de Santa Lucia, le pays du bon vin, de la bonne huile et des bons fruits, la terre promise de la géologie, une de ces contrées fortunées qui rappelle l’Attique, avec sa fraicheur, ses variétés et ses insaisissables parfums. On y remarque Santa Lucia (alt. 548 m.), chef-lieu, ancienne résidence des seigneurs d’Attalà, patrie du général de Giacomoni, situé à côté du couvent de Saint-François bâti, en 1492, par Rinuccio della Rocca, et dont l’église consacrée l’année suivante par Jules Giustiniani, évêque d’Ajaccio, renferme le tombeau de Serena, femme de Rinuccio, morte en 1498 et représentée en bas-relief sur la pierre tumulaire tenant un chapelet, dans sa main droite, et, dans sa main gauche, une bourse, symbole des aumônes qu’elle répandait à profusion. A deux petits quarts d’heure de ce village, dans un petit désert, qui s’étage sur les flancs de la Punta Campolaccia et qui porte le nom de Campolajo, se trouve le lieu natal de la plus belle roche connue, composée essentiellement d’amphibole et de feldspath, aussi régulièrement ocellée qu’une peau de panthère. Il y en a trois variétés, le granit à petits globules peu prononcés, le granit blanc, et le granit à cercles concentriques de feldspath blanc et d’amphibole noir bien prononcés ; cette dernière variété est la plus belle. A une demi-heure plus loin, sur la rive gauche du Fiumicicoli, était la source thermale sulfureuse de Caldane (40° C.), qu’une trombe a fait, dit-on, disparaître, il y a à peine quelques mois. »

Pour le deuxième canton, Marmocchi expose avec grâce :

« La campagne devient toujours plus sauvage, plus élevée et plus froide, lorsque l’on passe du canton [de Sainte-Lucie] dans celui de Serra de Scopamene (nom de l’ancienne piève), situé en majeure partie au milieu de terrains incultes. Le peuple de bergers qui habite ce canton vit d’orge et de seigle, consomme peu de vin, mais beaucoup de lait ; car dans ce canton, on élève une grande quantité de bestiaux, surtout à Quenza. Chaque année ce village, situé sur un point très élevé, envoie l’été presque toute sa population d’hommes et d’animaux dans les excellents pâturages du mont Coscione, qui le domine, et l’hiver sur les plages tempérées de Porto Vecchio, sur la Mer Tyrrhénienne. La Serra, groupe de hameaux plutôt qu’un véritable village donne son nom au canton, et n’est pas cependant la commune la plus peuplée de ce pays de Scopamene : la population la plus nombreuse se trouve à Aullene, situé précisément au pied du Coscione. Sorbollano et Zerubia, petits villages, sont à une faible distance de Serra. Cette contrée sauvage est dominée, au Nord, par le Monte Coscione et par le Monte Incudine, une des cimes les plus élevées de l’île. Le Coscione ressemble à une immense prairie en dos d’âne ; c’est un des plus beaux pâturages de l’Europe : les ondes pures de la fontaine Blanche et du ruisseau de la Viola dessinent en traits d’argent des sinuosités gracieuses, ou des arabesques bizarres, sur le vert tapis que la nature a jeté, comme un manteau grandiose, sur le dos de cette montagne. On trouve dans le canton de Serra de Scopamene quelques-unes des nombreuses ruines dont la domination ligurienne, puissante et jalouse, a couvert les pays féodaux de la Corse méridionale et occidentale : au-dessus de Serra on distingue les restes du Château de Giudice della Rocca, qui sortent du milieu d’énormes rochers, dont les pointes neigeuses se perdent dans les nuages ; et les ruines du Château de Renuccio, qui sont voisines du Coscione et sont dominées par l’Incudine. Cette dernière montagne est une masse énorme de granit, terminée par une plate-forme en pierre grise, lisse et polie, qui ressemble à une immense enclume : de cette forme étrange du rocher est venu le nom de la montagne.

Sous le Règne de Louis XVIII, Emile Gueymard (1788-1869) s’était déjà montré impressionné de ce paysage minéral et, dans son Voyage géologique et minéralogique en Corse (1820-1821) exprime ainsi sa fascination :

« Le mont d’Incudine est au Nord-Ouest et le mont d’Asinao à l’Est. On se dirige vers ce dernier dont la base est granitique ; plus haut on trouve des grès bien caractérisés en couches verticales dans la direction de 4h ; sur le sommet un calcaire compact coquillier succède à cette formation, aussi en couches verticales, dans la direction de 3h. Vient ensuite le granit qui parait stratifié comme ces roches. Déjà on croit être en Norvège, mais la nuit nous surprend au milieu de ces masses problématiques, et nous gagnons en toute hâte notre chaumière. Nous nous rappellerons toujours avec plaisir les charmes que Morphée nous fit éprouver dans la loge habitée la veille par plusieurs familles de petits porcs. Mon plan de campagne, qu’on me passe l’expression, était fait avant le lever de l’aurore ; ma caravane est distribuée sur tous les points de la montagne, et elle atteint les pics les plus élevés du Midi de l’île, en même temps que les premiers rayons du soleil. Mon adjoint avait des guides, et se dirige sur le mont d’Incudine, (ainsi nommé à cause de la ressemblance avec une enclume), à l’effet d’examiner la nature de la montagne qui est sur la rive droite de la Rizzanese. Ils parviennent au col de cette montagne avec des peines incroyables. Ils passent ensuite sur le pic le plus élevé ; mais pour atteindre la Bocca d’Asinao, appelée aussi Serra de l’Arena, il faut descendre vers l’Ouest pour remonter avec des peines non moins grandes. Dans tout ce trajet on ne trouve que du granit fort ordinaire, à moyens grains, à mica noir ou verdâtre foncé. En même temps, mon chef mineur longe la même chaîne à mi-côte, et il n’apporte que du granit tout à fait semblable à celui des sommités. Enfin j’explore moi-même toute la montagne que l’on voit sur la rive gauche, et qui la veille m’avait offert tant de sujets de méditations. Je suis, en montant cette rive, à peu de distance des sources de la Rizzanese. Je ne trouve que du granit composé de quartz vitreux et de feldspath blanchâtre, presque toujours sans talc et jamais de mica. On trouve sur ces granits beaucoup de grès roulés ou en fragments anguleux. La direction de cette gorge est suivant 4H ½ et elle continue ainsi de l’autre côté du col. Je remarque que les montagnes de la rive droite sont nues, escarpées et toutes pelées, tandis que celles de gauche sont moins inclinées et couvertes de pelouses. Je prends à droite, presque perpendiculairement à la direction de la gorge, et je ne trouve jamais qu’un granit très quartzeux, sans talc ou mica. Sur la hauteur, au versant des eaux, commence le grès feuilleté, dirigé suivant 4 heures, en couches verticales quelque fois légèrement inclinées. Je parcours toute la montagne en coupant les couches ; tantôt je remarque du grès ordinaire, et d’autres fois à minces feuillets avec les mêmes directions et inclinaisons. Le calcaire paraît aussi bien stratifié verticalement et dans la direction de 3h ;  il arrive en pointe ou en forme de coin, et il se perd ensuite dans les grès. Après ce calcaire compact et coquillier, on voit de la manière la plus distincte du granit ordinaire, contenant peu de talc. C’est sur cette ligne de jonction des deux roches qu’il faut venir jouir d’un autre genre de spectacle. On ne voit de toutes parts qu’un grand nombre d’aiguilles et de pyramides granitiques. La vue se repose et se perd dans ces abîmes et dans ces gouffres. C’est encore une nouvelle image du chaos. Ces déserts arides inspirent l’effroi et l’admiration ; on les quitte avec regret et avec plaisir, car on éprouve ici toujours deux sensations opposées.

Dans une veine champêtre, l’abbé Girolami-Cortona décrit de cette façon le canton de Serra-di-Scopamene :

« Ce canton, appelé vulgairement Alta Rocca, parce que la Rocca, qui le protégeait, était la plus élevée de toute la région méridionale, se déroule au pied des montagnes du Coscione et de l’Incudine, et offre de grands pâturages où paissent de nombreux bestiaux. Ses habitants sont tous nobles, comme ceux de La Tour d’Auvergne, mais en général pauvres. L’hiver, ils conduisent leurs troupeaux dans les tièdes vallées de Portovecchio ; l’été, ils s’en vont sur le mont Coscione, où l’on a compté jusqu’à 350 stazzi ou bergeries. Ce mont Coscione, comme son nom l'indique, a, dans sa partie supérieure, la forme d’une grosse cuisse (coscia), revêtue d’un tapis de gazon. Il est arrosé par deux petits ruisseaux, la fontana Bianca et la Viola, dont les ondes claires et limpides étincellent au soleil, et, après avoir fait mille petits détours sur le vert manteau qu’elles émaillent, semblent vouloir revenir vers leurs sources qu’elles paraissent avoir quittées à regret. Le Coscione est dominé par le mont Incudine, ainsi nommé parce qu’il se termine par une plate-forme lisse et polie qui ressemble à une enclume. La vue du sommet du mont Incudine, dit M. Freshfield, est probablement la plus belle de la Corse. Toute l’île, au Sud d’Ajaccio (et cette ville elle-même), est en vue. Le panorama est plein de variétés et de pittoresques accidents. D’abrupts escarpements, revêtus de forêts de pin, tombent à l’Est vers la mer, sur laquelle les navires semblent ramper à vos pieds ; vers le Sud, les montagnes s’entr’ouvrent sur une vallée embrasée ; les profondeurs bleues des baies sont frangées d’une double bordure de sable blanc et d’eau verte. Les fières aiguilles de granit de la forêt de Bavella et d’Asinao forment un étrange ornement de crêtes et de cornes aiguës. Sur la gauche, le long fiord de Portovecchio pénètre dans les terres. Au centre de ce paysage paraissent les bouches de Bonifacio avec leurs îles et leurs îlots ; à l’Est est Caprera (souvenirs de Garibaldi) ; à côté est la Maddalena (souvenirs de Nelson) ; vers l’Ouest, on domine les caps et les baies de la côte jusque par delà Ajaccio. Comme vue de montagnes, l’alpiniste sera déçu, mais pour les vues de mer, il n’y en a pas de plus belles, et il faut aller jusqu’en Grèce pour en trouver d’équivalentes. Les plateaux élevés de l’Alta Rocca produisent de très bons fromages. Dans les vallons inférieurs, on récolte de l’orge et du seigle, qui, avec le lait, la châtaigne, et la viande salée de porc, forment la principale nourriture de la population. On distingue dans ce canton : Quenza, sur la lisière du bois de Cova et au pied de la punta di Menta Morta, où Sinuccello della Rocca défit en plusieurs rencontres Latro Biancolacci de Carbini ; patrie de Colonna-Cesari, général patriote et ami de Paoli ; ainsi que de Colonna-Cesari, auteur de l’Armorial corse ; les ruines de deux châteaux, celui de la Contudine, bâti par Sinuccello sur un rocher qui s’élève au-dessus d’Aullène, et le Castello de Rinuccio della Rocca, l’Alta Rocca (la Haute-Roche), perché sur les remparts granitiques du Coscione (punta di Rinuccio). La famille Sinoncelli d’Aullène, qui compte actuellement un homme de lettres distingué, est originaire du Château de la Contudine. »

Au sujet du troisième et dernier canton, Marmocchi mentionne :

« Le Canton de Levie est une longue bande de terrain, s’étendant de la montagne de Bavella (au dessus de Zonza), jusqu’au golfe de Ventilegne ; elle est bornée au couchant par les cantons, déjà décrits, de Serra, de Sainte-Lucie et de Sartène, et, au levant, par ceux de Portovecchio et de Bonifacio, dont nous allons bientôt parler. Une portion considérable de cette zone de terre (la partie centrale), est hérissée de hautes montagnes et couverte de grandes forêts : c’est un désert sombre et froid. Toute la partie australe (les vallées et la marine de Figari), est d’une beauté et d’une fertilité admirables, mais presque déserte aussi. Il en résulte que dans ce canton la population et la culture se sont principalement portées vers le Nord, où se trouvent (outre Levie, chef-lieu) Saint-Gavino de Carbini et Zonza. Levie, un des plus nobles villages de la Corse, ancienne demeure de gentilshommes, est divisé en six hameaux, tous bâtis sur d’élégants coteaux plantés de vignes et d’arbres fruitiers, et entourés de beaux jardins. En face de Levie, du côté de l’Est et du S.E., s’étendent des vallées et des collines incultes et solitaires, peuplées seulement de bestiaux et particulièrement de juments de petite taille. Au-delà de ces collines on voit poindre les cimes foncées des montagnes qui séparent le canton de Levie de celui de Portovecchio, et qui sont ombragées par l’immense forêt appelée par les Corses Forêt du Marquis de Fontana-rossa. Sur le bord de cette forêt est l’église de Saint-Jean de Carbini, qui donnait autrefois son nom à une vaste piève : cette église est une belle et solide construction du Moyen-Âge, toute en pierre taillée ; son clocher, véritable rareté pour le pays, montre au loin sa flèche gracieuse, à la forêt, aux vallées et aux collines de ces lieux solitaires. Le village de Carbini, célèbre et florissant autrefois, est réduit aujourd’hui aux dimensions du plus chétif hameau. La première et la principale raison de cette décadence furent les extravagances d’une secte, moitié politique et moitié religieuse, appelée des Giovannali ; elle s’y était formée dans le XIVe siècle.

D’un ton flamboyant et qui ne manque pas de drôlerie, l’abbé Girolami-Cortona explique au sujet du canton de Levie :

« Ce canton, à l’aspect des plus excentriques, présente une surface très accidentée, peu large, mais très longue, s’étendant des hauts sommets de Bavella jusqu’à la mer de Sardaigne, entre les cantons de Serra, de Santa Lucia et de Sartène, à droite, et ceux de Portovecchio et de Bonifacio, à gauche. C’est une contrée qui jouit de tous les climats, et peut se diviser en trois zones : l’Inférieure, la Moyenne et la Supérieure. L’Inférieure, circonscrite entre le massif de Cagna et le golfe de Ventilegne, torride comme Albacètre, conquise les armes à la main par les bouillants Lianesi sur les débonnaires Banifacini, fertile mais malsaine, comprend tous les hameaux de la commune de Figari. La Moyenne, formée d’une succession de collines sombres, tachetées de quelques vallons riants vers l’Ouest, est bordée, à l’Est, d’une rangée de pics élevés (punta della Vacca-Morta), punta del Diamante, punta Quercitello), dont les flancs sont couverts de forêts ou criblés de ravins profonds. On remarque dans cette zone : Carbini, sur la lisière du bois solitaire du Marquis de Fontana Rossa, ancien chef-lieu d’une piève du même nom, avec les débris de son église pisane en pierre taillée, et son élégant clocher fendu par la foudre mais toujours debout. Carbini est célèbre dans nos annales. Ce fut là que surgit, en 1365, la secte hideuse des Giovannali, illuminés communistes, excommuniés par Urbain V et massacrés par les populations. Leur souvenir est resté néanmoins sympathique dans le lieu de leur origine. On raconte, à Carbini, que les anges du bon Dieu, indignés du traitement infligé à ces justes, voulant que le lieu où ils avaient prié ne pût être profané par leurs persécuteurs, détruisirent, la nuit, le travail du jour, toutes les fois que ceux-ci tentèrent d’ériger une nouvelle église sur l’emplacement de l’ancienne qu’ils avaient détruite : on fut donc obligé de renoncer à ce travail et de laisser subsister les ruines, témoignage parlant de l’injustice commise. Au Nord de Carbini se trouve Levie (alt. 682 m. 60) chef-lieu, formé par la réunion de sept hameaux (Levie, La Sorba, Anaraggia, Olmiccia, Pantano, Insorto, Castaldaccia), patrie du colonel Peretti, homme de plume et d’épée ; de l’abbé Peretti, député du clergé en 1789 ; de Mgr de Peretti, évêque de Ptolémaïs ; de Lucrèce, cette femme héroïque très supérieure à la Lucrèce romaine, qui aima mieux se tuer avec une paire de ciseaux plutôt que d’accéder aux désirs d’un capitaine génois ; de Napoléon Peretti, vaillant guerrier anobli par Henri II (1555). Près de ce village, dit Gueymard, sur le petit plateau de Paragino, existe en abondance la roche proposée pour les mausolées : le granit siénitique à longs cristaux d’amphibole noir. Les murs de clôture en sont en partie construits. Au-dessus, est San-Gavino, lugubre comme un tombeau, théâtre de luttes fratricides et sanglantes. Plus haut, au-delà de la punta du Sapalone, se montre Zonza (alt. 787 m.), avec sa belle église neuve de style gothique, couronnée d’une magnifique châtaigneraie. La troisième zone, froide comme la Laponie, commence au-dessus de Zonza, et s’élève, entre les aiguilles granitiques d’Asinao et de Bavella, jusqu’au col par où passe la route forestière de Sartène à la Solenzara. »

 

II) Emplacement de la commune de Mela

Au cœur de l’Alta Rocca, le village de Mela, placé en contrebas de la route départementale n° 268 qui mène de Sainte-Lucie-de-Tallano à Levie, étale sur sa crête de granit, à 663 mètres d’altitude, ses maisons de pierre qui enserrent harmonieusement son église paroissiale. Englobé au milieu des monts, son espace s’organise en fonction de son relief qui, pour reprendre la formule poétique de Jean Mattei (1921-2013),  offre une image qui « devient plus grandiose lorsqu’elle s’agrandit pour atteindre au loin l’ourlet dentelé des massifs de Tachana et de Cagna ».  Le territoire de la commune, qui est bordé au Nord par celui d’Altagène, à l’Ouest et au Sud-Ouest par celui de Sainte-Lucie-de-Tallano et à l’Est et au Sud-Est par celui de Levie, occupe une surface de 462 hectares.

 

Il descend depuis le Sud du Monte Sarrado, à 900 mètres vers Acqua Sparta, jusqu’à la rivière Fiumicicoli, avant de remonter en direction de Foce-di-Mela, hameau sis à 300 mètres d’altitude, de s’élargir vers le Valdu di Quilichini, à proximité de l’église Saint-Martin de Bisé, et d’étendre sa pointe méridionale jusqu’à peu après le confluent des ruisseaux de Casavecchia et de Mezzane, où se rejoignent Sainte-Lucie-de-Tallano et Levie.

 

Cet entrelacs de côtes, de monticules, d’escarpements, de plateaux et de pics, constitutif des si traditionnelles et méditerranéennes cultures en terrasses, se forme d’une myriade de lieux-dits, dont la toponymie fluctue en fonction du support qui la mentionne.

 

 

III) Voies de communication

 

Rédacteur de l’essentiel de l’article wikipédia relatif à Mela, les possibles modifications sauvages subies par cette encyclopédie participative nous incitent à reproduire ici la partie consacrées aux voies de communication qui relient le village de Mela et son hameau entre eux comme au reste de l’île.

 

1) En ce qui concerne les routes :

 

Mela est connectée, par la route départementale n° 149 qui bifurque depuis le Calvaire, à la route départementale n° 268, qui, depuis l'Est, commence à Sari-Solenzara, franchit le col de Bavella, passe notamment par Zonza, Levie et Sainte-Lucie-de-Tallano et rejoint, peu avant Propriano, la route nationale n° 196 qui relie Ajaccio à Bonifacio.

Sur le plan historique, le réseau routier de l'île était, jusqu'au milieu du XIXe siècle, peu développé ou, en tout cas, guère carrossable. Les rapports et délibérations du conseil général de la Corse permettent cependant de constater que, curieusement, celui qui menait à Mela fut en relatif bon état avant beaucoup d'autres. Il est ainsi noté, en 1862, que dans l’arrondissement d’Ajaccio, il n’y a pas un seul chemin praticable de bout en bout pour les voitures et que dans l’arrondissement de Sartène, il n’y a que les chemins d’intérêt commun n° 55 d’Olmiccia à Poggio, d'une longueur de 1 370 mètres et n° 54 de Mela à Altagene, d'une longueur de 2 450 mètres qui soient ouverts sur une largeur de 4,50 m et qui ne nécessitent que des dépenses d’entretien. Ces deux chemins sont fusionnés en 1864 pour devenir le chemin d'intérêt commun n° 44 d'Olmiccia à Mela, ancêtre de la portion de la route départementale n° 268 qui relie toujours Mela au reste du canton. Son tracé commence sur la route forestière n° 4 borne 58,870 km, passe par Olmiccia, Poggio-di-Tallano, où il rencontre à 700 mètres de Poggio le chemin de grande communication n° 6 qu’il emprunte jusqu’à Sainte-Lucie-de-Tallano. Il emprunte ensuite la route forestière n° 4 entre les bornes 57,550 km et 56,100 km, passe par Saint-André-de-Tallano et se termine à Altagène. L’embranchement de Mela qui commence sur la route forestière n° 4 et se termine à Mela fait partie de ce chemin. En 1866, le descriptif relatif à cette voie se fait légèrement moins enthousiaste que quatre ans auparavant puisqu'il est constaté que le chemin n° 44 est ouvert sur une longueur de 3 kilomètres et en lacune sur un kilomètre. Le Conseil général, qui se montre étonné qu’une ligne de 4 kilomètres de parcours seulement ne soit pas encore ouverte bien que classée depuis longtemps, explique néanmoins ce retard par le fait que les propriétaires demandent à être indemnisés préalablement à l’occupation des terrains. Il faut attendre le rapport présenté à l'assemblée délibérante en 1880 par le service vicinal pour se réjouir enfin de l’achèvement des travaux qui a complété l’ouverture du chemin n° 44, désormais livré à la circulation sur toute sa longueur.

Le hameau de Foce-di-Mela se situe, quant à lui, sur la route départementale n° 548, qui continue la route départementale n° 148 venant de Sartène, qui rejoint, à la hauteur de Tirolo, la route départementale n° 248 venant de Chialza et qui, sous ce dernier numéro, se raccorde, vers Foce d'Olmo, à la route départementale n° 59 qui, au sud depuis Sotta va vers Carbini.

Les voies devancières des actuelles routes départementales n° 548 et n° 248 furent percées plus tardivement que celle qui menait à Mela et il à considérer que de simples chemins pédestres permettaient de rejoindre Foce-di-Mela avant la fin du XIXe siècle. En effet, ce n'est que lors de la séance du Conseil général du 11 septembre 1879 que M. Giacomoni, représentant du canton de Sainte-Lucie-de-Tallano, dépose le dossier relatif à la construction d’un chemin de grande communication partant des bains de Sainte-Lucie (Caldane) et passant par les hameaux de Foce-di-Mela, Tirolo, Pantano, par la commune de Carbini et aboutissant à la route forestière de Marghese, chemin dont le début des travaux d’ouverture n'est pas attesté avant le 12 septembre 1883. En ce qui concerne l'actuelle route départementale n° 248, ce n'est que lors de la séance du 3 septembre 1910 que le conseiller général Orsatti émet le vœu que l’administration des chemins vicinaux mette à l’étude le tracé d’un chemin destiné à desservir les hameaux de Casabianca, Matra, Orio, Chialza, Campoli et Bisè, avec prolongement sur Foce-di-Mela et le classement de ce chemin comme embranchement du chemin d’intérêt communal n° 28 et qu'il est spécifié que ces hameaux, dont plusieurs constituent à l'époque des agglomérations importantes, sont dépourvus de toute voie de communication.

 

2) En ce qui concerne les sentiers :

Mela et son hameau de Foce-di-Mela sont reliés par un sentier muletier qui part dans le bas du village et descend en lacets jusqu’à la rivière Fiumicicoli, qu’il franchit à la passerelle de Cutulla. Cette dernière a été détruite par deux fois dans l'Histoire. La première destruction fait suite à ce que les contemporains ont qualifié d'"ouragan", qui a occasionné une crue du Fiumicicoli le 09 novembre 1892. Les rapports et délibérations du Conseil Général de la Corse nous montrent que sa reconstruction fut de longue haleine. En dépit d'une première subvention de 250 francs accordée en 1893 par le Département et de la réunion d'une somme de 200 francs prélevée dans le budget de la commune de Mela et de 150 francs dans celui de la commune de Sainte-Lucie de Tallano, dont le hameau de Bisè est desservi par cette passerelle, l'argent manque pour restaurer l'ouvrage. Il faut dire que les devis établis par le service vicinal prévoient une dépense de 3 100 francs dans le cas d'une passerelle en maçonnerie et de 2 100 francs dans celui d'une passerelle en simple charpente. La commune de Mela, qui n'est pas en mesure d'obérer davantage son budget, cherche à se tourner, en vain, vers les établissements de crédit. Par quatre fois, en 1896, 1897, 1901 et 1902, le conseiller général Arrii émet le vœu que l'État ou la collectivité locale vienne en aide à la commune. Les archives ne permettent malheureusement pas de préciser à quelle date exacte le problème a pu enfin trouver une solution. Ce qui est sûr est que la passerelle a bien été reconstruite au XXe siècle puisqu'elle a été une seconde fois emportée par la crue centennale du Fiumicicoli qui a eu lieu du 31 octobre au 02 novembre 1993. L'équipe municipale, alors conduite par Gisèle Chiaverini, semble néanmoins avoir connu moins de déboires que ses prédécesseurs de la Belle Époque pour réunir les financements utiles à une nouvelle reconstruction, la passerelle étant de nouveau empruntable depuis lors. Parvenu, peu après la passerelle, sur la route départementale n° 548, il suffit d’obliquer à gauche pour rallier Foce-di-Mela ou à droite pour les bains de Caldane.

Un sentier commence, depuis la route départementale n° 268, au niveau du réservoir de la commune, afin de rallier, au terme d’une montée, le village d’Altagène ou le sommet du Monte Sarrado.

Bien plus modeste que les deux précédents, un sentier s’oriente, depuis le haut du village, vers le cimetière, en passant par la Funtana Suttana.

Existence de Mela dans l'Antiquité ? Question de son assimilation avec la Matisa ptoléméenne

Le géographe antique Claude Ptolémée (vers 90- vers 168), dans le deuxième chapitre du troisième livre de sa Géographie, évoque l’Île de Beauté :

« L’île Kurnos, dite aussi Korssika, est entourée à l’Ouest et au Nord par la mer Ligustique, à l’Est par la mer Tyrrhenique, au Sud par celle qui se trouve entre elle et l’île de Sardô. […] Les peuples suivants habitent l’île, répartis en bourgades : les Kerouinoi sur la face Ouest au-dessous du Mont d’Or dont la position est 30°45’, 40°45’ ; au-dessous d’eux les Tarabienoi, puis les Titianoi, puis les Balatinoi. A la pointe Nord extrême les Ouanakinoi ; au-dessous d’eux les Skilibensioi, puis les Likninoi et les Makrinoi ; au-dessous d’eux, les Opinoi, puis les Surboi ; au-dessous d’eux à l’extrême Sud, les Tebousanoi (ou Soubousanoi). »

Ce savant d’Alexandrie cite notamment l’existence de quatorze villes intérieures, dont les deux dernières, parmi les trois seules situées plus au Sud qu’Aléria, sont Matisa (30°45’ de longitude et 39°35’ de latitude) et Albiana (31° de longitude et 39°30’ de latitude).

Toute la difficulté réside dans la localisation exacte de ces endroits, pour laquelle les positions mentionnées dans son œuvre ne sont que d’un secours très relatif, dans la mesure où les calculs de longitude tentés sous l’Antiquité s’avèrent très imprécis voire fantaisistes. C’est la gageure à laquelle se sont essayés plusieurs auteurs, sans grand succès durant plusieurs siècles.

Au sortir du Moyen-Âge, Pierre de Cyrnos (1447-1506), dans son Histoire de la Corse depuis les origines jusqu’en 1506, ne se montre pas en mesure de fixer l’ensemble des lieux et opte pour la prudente remarque aux termes de laquelle : « Tous les pays, en Corse, n’ont pas conservé leurs noms primitifs. Les différents possesseurs ont dû les changer à leur guise, et, ce qui le prouve, c’est que les plus nobles familles portent les noms des terres qu’elles habitent. Il devient, par suite, difficile d’en rechercher les origines. »

L’ouvrage Claudii Ptolemaeii Alexandrinii Geographicæ, selon la traduction latine de La Géographie de Claude Ptolémée effectuée par Willibald Pirckheimer (1470-1530), publié à Lyon en 1535 par Michel Servet (1511-1553) sous le nom de Michel de Villeneuve, à l’imprimerie des frères Trechsel, comprend pour sa part un essai de représentation cartographique qui, à l’ Europae Tabula VI : Italiam, Cyreneos Insula, cherche à restituer les répartitions délivrées dans l’œuvre antique, et place Matisa dans le Sud-Ouest de la Corse.

Au XVIIe siècle, Philip Cluvier (1580-1623), historien et géographe allemand, dans sa Corsica antiqua, ne permet pas une grande avancée dans le domaine de la précision, en spécifiant que nombre des lieux énumérés par Ptolémée se montrent incertains.

Giovanni Paolo Limperani di Orezza (1694-1779), dans le premier tome de l’Istoria della Corsica da’ Tirreni suoi primi abitatori fin al secolo XVIII, ne parvient pas davantage à situer l’emplacement de la plupart des cités intérieures, dont il ne doute pas de l’existence et pour lesquelles il se montre même reconnaissant à Ptolémée d’en avoir conservé le souvenir, tout en soulignant l’obscurité de leur emplacement.

 

Les progrès réalisés tout au long du XVIIIe siècle en matière de science géographique, tant à travers les instruments d’horlogerie indispensables dans la détermination de l’heure solaire locale par rapport à celle du méridien de référence pour le calcul de la longitude que dans la prodigieuse avancée du système métrique, ouvrent la voie, au XIXe siècle, à la recherche de la localisation des cités énumérées par Ptolémée.

Dès 1835, François Guillaume Robiquet (1777-1845), dans ses Recherches historiques et statistiques sur la Corse, qui note en propos liminaire la distorsion de chiffre entre les trente-trois villes données sans nom dans le troisième livre de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (23-79) et les treize villes côtières et quatorze villes intérieures énoncées par Ptolémée, lesquelles ne correspondent d’ailleurs à aucune des quatre mentionnées au cinquième livre de la Géographie de Strabon (vers 64 av. J.-C. – vers 25 ap. J.-C.), déclare s’appuyer sur les travaux de Charles Athanase Walckhenaer (1771-1852), membre de l’Institut et Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, et sur la carte de la Corse ancienne qui a pu en résulter, pour situer Matisa ou Matissa sur la rive droite du Fiumicicoli, vers Mela, et Albiana à l’embouchure du même Fiumicicoli dans le Valinco.

Cette opinion, qui figure aussi chez Joseph-Marie Jacobi (1804-1870), lequel précise que les deux cités sont ruinées, dans le premier tome de l’Histoire générale de la Corse depuis les premiers temps jusqu’à nos jours, édité à Paris en 1835, est également reprise par Francesco Costantino Marmocchi (1805-1858), dans son Abrégé de la Géographie de l’Île de Corse, paru à Bastia en 1852, ainsi que par l’abbé François-Antoine Girolami-Cortona (1839-1919), dans sa Géographie générale de la Corse, parue à Ajaccio en 1893.

François Guillaume Robiquet (1777-1845) avertit le lecteur que : « Il ne serait pas étonnant que Strabon Pline et Ptolémée eussent commis de grandes erreurs relativement aux villes qui pouvaient exister en Corse de leur temps, puisqu’un dictionnaire géographique moderne (Dictionnaire de Vosgien, deuxième édition, Lyon, 1811) met au nombre de celles qui s’y trouvent aujourd’hui Soroingoin et Soroinsu (Sorro-Ingiu et Sorro-Insu, noms de deux anciennes pièves, aujourd’hui cantons de Vico et de Soccia). » Il souligne néanmoins que si Philip Cluvier (1580-1623), dans son ouvrage précité, « pense que la plupart des lieux auxquels Ptolémée a donné le nom de ville étaient des châteaux, des forts, cela est peu probable. Ce nom n’entraîne pas l’idée d’une population considérable : tout village entouré de murailles, et ayant ses magistrats particuliers, pouvait en être décoré. Aujourd’hui encore, on le donne en Corse à quelques lieux fortifiés, beaucoup moins peuplés que certains villages de cette île. La ville de Saint-Florent, par exemple, n’a pas quatre cents habitants, et le village de Bastelica en a plus de deux mille. »

Cette dernière opinion est toutefois battue en brèche par le célèbre Inspecteur général des Monuments historiques Prosper Mérimée (1803-1870) qui, en 1841, dans ses Notes d’un voyage en Corse, affirme que « Pline comptait trente-trois cités (civitates) en Corse et deux colonies romaines, Mariana et Aleria. Il est douteux que le mot de civitates ait désigné des villes dans l’acception moderne de ce mot. Plus probablement, il veut parler de tribus ou de peuplades, soient qu’elles aient eu une résidence fixe, soient qu’elles menassent une vie nomade ». Cette position est rejointe par Monseigneur Paul Mathieu de La Foata (1817-1899) qui, en 1895, dans ses Recherches et notes diverses sur l’Histoire de l’Eglise en Corse, se réfère notamment au chroniqueur Pierre de Cyrnos (1447-1506), afin de relever que ce que « les anciens auteurs et ceux du Moyen-Âge ont appelé civitates, et que leurs traducteurs ont décoré du nom de villes, n’étaient que […] des pièves en général, et quelque fois de simples villages éparpillés sur une étendue plus ou moins considérable de territoire », en insistant sur le fait que le mot civitas possède un sens plus étendu que ceux d’urbs ou oppidum et « signifie quelque fois une ville proprement dite, mais plus souvent une cité ou une réunion de citoyens, un corps politique, une contrée, un district, une piève, ou canton, la réunion de quelques hameaux, villages, communes ou paroisses disséminés dans une même vallée, ayant mêmes magistrats, même langage et mêmes intérêts. » Cette explication philologique, qui s’avère plutôt convaincante, se double selon lui d’une impossibilité historique de la réunion d’un grand nombre d’habitants dans la Corse de cette époque. Il s’appuie pour cela sur la plupart des historiens de la Corse des temps passés, dont Philip Cluvier (1580-1623) pour lequel : « On ne saurait croire que la Corse eut trente-trois villes, tandis que Pline n’en assigne que quatorze à l’île de Sardaigne, beaucoup plus grande et plus importante que l’île de Corse ». Il recourt également à l’autorité de Strabon (vers 64 av. J.-C. – vers 25 ap. J.-C.), pour lequel : « La Corse est mal peuplée ou peu habitée, parce qu’elle est très montueuse et d’un accès généralement difficile ou impraticable. Il y a cependant quelques parties habitables et quelques petites villes, telles que Blesino, Charax, Epiconie et Vapanes » ; et de Diodore de Sicile (Ier siècle av J.-C.) qui, au cinquième livre de sa Bibliothèque historique n’estime pas à plus de 30 000 habitants la population de l’île.

S’il est précieux d’entendre la notion de « cités » de la géographie ptoléméenne dans une acception d’entités territoriales diffuses, la détermination des pièves de rattachement à laquelle se livre Monseigneur Paul Mathieu de La Foata (1817-1899) se montre, quant à elle, beaucoup moins probante, en recourant à la seule proximité phonique qui lui fait ainsi spéculer : « Matissa, ne serait-ce pas l’ancienne piève de Moïta ou de Matra dont le nom latinisé aurait été tout d’abord Moitissa ou Matrissa ? » Il semble inutile de s’attarder sur les innombrables erreurs sur lesquelles ont débouché, pour toute l’Histoire antique, les recherches fondées sur l’analogie des phonèmes, laquelle, déjà erratique à l’échelle des provinces comme le démontre l’exemple persistant de l’obscurité de l’origine ouest ou est-méditerranéenne des Peuples de la Mer, entre dans le pur domaine du mythe lorsqu’elle prétend assurer une précision cantonale voire municipale, sans s’interroger sur les évidentes possibilités de profondes modifications toponymiques induites par les différentes vagues historiques des possesseurs de la terre, qu’il s’agisse de pure et entière substitution tribale voire ethnolinguistique ou même de simple changement dynastique à la petite échelle d’une chefferie.

Dans le domaine très incertain des mouvements de population auxquels le monde de la fin de l’Antiquité s’est trouvé progressivement confronté, l’anthropologue Pierre G. Mahoudeau, dans le numéro de l’année 1905 de la Revue de l’Ecole d’anthropologie de Paris, consacre un article relatif aux Documents pour servir à l’ethnologie de la Corse, dans lequel il note que si, sous la domination romaine, la population de l’île se scinde entre d’une part des individus qui proviennent de toutes les régions de la Méditerranée et habitent les colonies romaines des rivages et d’autre part les habitants originels, réfugiés dans l’intérieur enclavé des contrées les moins fertiles, ces derniers, déjà affectés par les invasions, commencent, à partir du Moyen-Âge, à s’entredétruire, par de sanglantes vendettas. Dès lors, les chutes démographiques se comblent de populations allogènes originaires du littoral ou de régions extérieures à la Corse, phénomène qui, en faisant perdre son homogénéité à la population montagnarde qui était jusque-là de type « Vieux-Corse », est, à notre avis, de nature à avoir entraîné des bouleversements politiques et linguistiques suffisamment importants pour parvenir à des évolutions comparables à celles qui transformèrent la Gaule en France ou, plus tard, une grande part de la Neustrie en Normandie. Selon ce même auteur, néanmoins, les lieux les plus difficilement accessibles continuent de conserver leur ancien « raçage », observable par la morphologie crânienne, qui se rapporte à « une des survivances les moins modifiées, et par suite des plus intéressantes, d’une très archaïque race humaine ayant existé dans le Sud-Ouest de la Gaule aux époques préhistoriques, vers la fin des temps pléistocènes. Cette race est celle de Cro-Magnon », caractéristique qui le fait s’interroger sur une possible parenté avec les Basques voire les Guanches des Canaries. Cette hypothèse, déjà émise en 1877 par le Prince Louis-Lucien Bonaparte (1813-1891) dans ses Remarques sur les dialectes de la Corse et sur l’origine basque de plusieurs noms locaux de cette île, n’aurait pu que complaire aux ambitions de la Couronne d’Aragon de « restauration » d’un arc méditerranéen ibérique.

Elle repose toutefois sur des indices bien fragmentaires et à l’interprétation trop hasardeuse pour fonder une véritable démonstration. La « preuve » par l’ethnolinguistique permet, en effet, d’aboutir à toutes les conclusions. A titre d’exemple, dans Quelques considérations sur les anciens peuples de l’Europe centrale et en particulier des Gaules, mémoire lu à la Société d’anthropologie le 22 novembre 1877, le docteur Antoine Mattei, après avoir admis le possible rattachement de noms de lieux à la langue basque, soutient que son étude des habitants de la Corse l’amène à retenir quatre types celtique, pélasge (ou grec), arabe et saxon. Gisèle Mathieu-Castellani, quant à elle, dans son livre La Représentation de la Corse dans les textes antiques, paru aux éditions Alain Piazzola en 2004, pour rapporter une opinion moins excentrée d’une proximité avec la région de la Gallura, au Nord-Est de la Sardaigne, n’en fait pas moins reposer son appréciation, qui fait suite à celle énoncée par Ettore Pais (1856-1939) dans Storia della Sardegna e della Corsica durante il periodo romano, sur une interprétation bien fragile de l’inscription d’un manuscrit, mais sans en préciser l’origine et donc sans s’interroger sur les conditions de sa copie, source traditionnelle de corruption à l’époque médiévale des textes antiques, qui ferait part de « Matisa Sardou », et établirait, de la sorte, une connexion avec Sardè ou Sartène, par un rattachement phonique sarde laconiquement énoncé par l’affirmation selon laquelle « le dialecte de Sartène a plus que d’autres dialectes de l’île des ressemblances avec celui de l’aire gallurique ».

L’opinion sartenaise de Gisèle Mathieu-Castellani, géographiquement moins contraire au texte de Ptolémée qui situe Matisa dans le Sud de la Corse et s’accorde donc mal de la suggestion de Monseigneur Paul-Mathieu de La Foata quant à Moïta, village de l’ancienne piève de la Serra, en Castagniccia, dans l’En-Deçà des Monts et donc au Nord d’Aleria, ne repose cependant pas sur autre chose qu’une spéculation extrêmement fragile, à base ethnolinguistique, qui pourrait tout autant permettre de conclure, comme montré plus avant, à une situation en n’importe quel point de l’île, sur une implantation occupée par l’un des nombreux peuples antiques, dans une vision certes poétique d’intenses circulations trans-maritimes mais qui relève de la simple conjecture, assise de peu de valeur dans les sciences historiques.

Bien plus assurée et sérieuse demeure la recherche par l’orientation géographique à opérer à partir des indications antiques, à l’égard desquelles le mépris tiendrait, à la fois d’un parti pris parfaitement arbitraire et injuste au vu de la qualité du travail intellectuel d’Anciens qui n’ont jamais rien d’autre à leur actif que la fondation même de la Civilisation de laquelle nous procédons, comme d’une paresse ontologique pour la recherche de la Vérité.

Or, dans l’Entre-Deux-Guerres, la publication par l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres de la Forma orbis romani Carte archéologique de la Gaule romaine, établie à partir de 1931 sous la direction d’Adrien Blanchet (1866-1957), qui intègre en 1933 une carte de la Corse dressée par Ambroise Ambrosi (1877-1942) relance suffisamment le sujet pour qu’André Berthelot (1862-1938), dans un article relatif à La Corse de Ptolémée, publié dans La Revue archéologique (sixième série, tome XI, janvier-juin 1938), expose une méthode davantage scientifique, qui développe l’ambition de parvenir à une plus grande précision dans la détermination des emplacements des lieux nommés par Ptolémée.

« Pour l’interprétation de ce texte, nous appliquerons les mêmes règles que pour les pays de l’Asie méridionale, de la Gaule et de l’Irlande. Suivant l’ordre employé par Ptolémée, nous examinerons en premier lieu le périmètre côtier et nous traduirons en distances les chiffres que le géographe de Canope a exprimés en degrés de longitude et de latitude, nous conformant au fait établi que son degré de latitude vaut uniformément 500 stades de 157 m. 50, soit 78 750 m., alors que son degré de longitude sur la carte de Corse n’en vaut que les trois quarts, soit 375 stades, 59 062 m. 50 (livre VIII chap. 8). Mais pour la Corse comme pour l’Irlande (v. Revue celtique, 1933, p. 248), les mesures du périmètre de l’île offrent moins de sécurité que pour la côte d’un pays continental. Celle-ci peut avoir été repérée lors d’un voyage unique ou bien en raccordant des informations soudées du même port d’origine ou de départ. Dans le cas de la Corse, au contraire, il semble évident que les distances nautiques exprimées par les coordonnées des lieux du périmètre de l’île n’ont pas été recueillies par un observateur unique, ni par plusieurs navigateurs dont on peut raccorder les journaux en les ramenant à un même port, d’autant plus que la Corse ne possédait pas de port d’importance prépondérante. Il s’ensuit que les informations proviennent de sources multiples, de valeur peut-être inégale. Le géographe a dû les assembler dans son cabinet, en soudant des itinéraires divers ; ce travail de soudure a comporté des interprétations pour le calcul des distances et pour la traduction de ces chiffres en écarts de longitude et de latitude. La chose est manifeste pour la côte orientale, la mieux connue alors et celle où les chiffres de Ptolémée paraissent le plus conformes à la réalité des faits, les positions qu’il a définies se retrouvant aisément sur la carte moderne. Il a tracé ce rivage sur un méridien le 31°30… »

Par cette façon de procéder, en tentant de mesurer, à partir de la côte orientale, les distances entre chacun des angles estimés par Ptolémée, l’auteur s’essaie à la reconstitution des données livrées dans la Géographie.

Pour ce qui est de l’île dans son ensemble, il relève ainsi :

« Le périmètre de l’île tel que nous venons de le décrire suivant Ptolémée mesurerait 524 km ; 201 pour la face orientale, de Marianon réputé extrémité Sud, au cap Sacré extrémité Nord de l’île ; 148 pour la face septentrionale, du cap Sacré au cap Kattios ; 127 pour la face occidentale du cap Kattios au port Titianos ; 48 pour la face méridionale, de ce port à Marianon. Il s’inscrirait dans un polygone dont les quatre points susdits marqueraient les sommets Sud, Nord, Nord-Ouest et Sud-Ouest ; le pourtour de ce polygone serait de 477 km. D’après les évaluations modernes, le pourtour de la Corse en négligeant les sinuosités secondaires serait de 480 à 490 km (Dict. Joanne II, p. 1078). Ptolémée estimait la plus grande longueur du 39°10 au 41°35 à 196 km. ; nous comptons du 41°21 au 43°1 lat. 183 km. L’intervalle des longitudes était à ses yeux, entre le cap Kattios 30° et la côte orientale 31°30, de 1°30 long. Valant un peu plus de 88 km. A nos yeux la largeur maximum mesurée entre le cap Rosso et la tour de Bravone sur la côte orientale serait de 84 km. On voit que la divergence n’est pas grande ; les mesures sur lesquelles Ptolémée a fondé ses calculs étaient presque exactes. »

Mais la détermination du positionnement des différents peuples s’avère quant à lui, selon les cas, plus aléatoire. Il est cependant noté, pour celui qui intéresse la région qui nous occupe :

« Les Soubasanoi occupants de l’extrémité méridionale, entre le golfe Syracusain (Porto-Vecchio) et Marianon (Bonifacio). »

Et les différents calculs ne permettent hélas pas de parvenir à une absolue certitude quant à l’implantation de Matisa.

« Pour Matisa et Albiana on ne peut avancer que des hypothèses assez faiblement fondées, puisque nous ignorons d’après quelles autres villes auraient été repérées leurs positions. Matisa peut avoir été localisée en fonction de la latitude de Port-Titianos à 34 km. E. que nous interprétons N.-E. ; c’est la direction de la route qui remonte par de là Sartène vers Tallano. On pourrait également défendre l’assimilation avec Levie ; sous l’Ancien Régime, Figari en dépendait et l’organisation forestière garde la trace de cette connexité. Mais on pourrait aussi soutenir qu’Albiana à 25 km. de Marianon (Bonifacio) aurait été dans l’intérieur des terres sur la route de Levie, à en juger par l’écartement du rivage oriental. Ces petits problèmes ne seront résolus que par l’étude des voies romaines, à défaut de trouvailles archéologiques. »

Si l’espérance, formulée il y a près de quatre-vingts ans par André Berthelot (1862-1938), n’a hélas pu trouver de réalisation par le miracle des fouilles, il reste tout de même possible, bien que loin d’être chose certaine, d’envisager l’implantation, dans le Tallanais, d’une organisation politique, sans doute de type tribal ou même clanique, suffisamment importante pour que sa mention en ait été faite par l’un des plus grands savants du monde romain. Et, dans l’imprécision persistante de l’arpentage exact du territoire de Matisa, il reste à faire nôtre le perspicace point de vue de Francesco Costantino Marmocchi (1805-1858) qui, en accord avec celui de Prosper Mérimée et en précédant celui de Monseigneur Paul Mathieu de La Foata, émet l’hypothèse selon laquelle : « Plusieurs de ces villes ne furent autre chose que des peuplades éparpillées sur des territoires plus ou moins étendus, et appelées par des noms collectifs, correspondants, à peu près, aux pievi corses du Moyen-Âge. »

 

Précisions minéralogiques, hydrographiques, botaniques et zoologiques

I) Minéralogie :

Dans son Etude sur la constitution géologique de la Corse, parue dans les Mémoires pour servir à l’explication de la carte géologique de la France à Paris en 1897, l’Ingénieur des Mines M. Nentien résume l’organisation que connaît l’espace corse en la matière :

« Au point de vue orographique et hydrographique, aussi bien qu’en ce qui concerne la nature géologique des terrains, la Corse se divise en deux régions bien distinctes limitées par une ligne presque rigoureusement droite tirée de l’embouchure du Régino, à l’Est de l’Ile Rousse, à celle de la Solenzara, sur la côte orientale. Cette ligne est oblique par rapport au grand axe de l’île, allant du Cap Corse à Bonifacio, mais elle est au contraire rigoureusement parallèle à celle joignant les cimes maîtresses de la chaîne centrale : monte Cinto (2 707 mètres), monte Rotondo (2 625 mètres), monte d’Oro (2 391 mètres), monte Renoso (2 357 mètres) et monte Incudine ou Alcudine (2 136 mètres). La région située au S.-O. de cette ligne de démarcation si nette est constituée presque exclusivement  par la série de roches éruptives anciennes qui seront étudiées plus loin avec détail : elle ne renferme qu’accidentellement des terrains sédimentaires qui n’y forment que des bassins de très faible étendue. »

Il relève, pour la région qui nous concerne :

« Les montagnes granitiques de l’Ouest et du S.-O. ont une toute autre disposition que les précédentes : elles se présentent en effet sous la forme de très nombreuses arêtes à peu près parallèles, orientées en gros N.-E. – S.-O. et se détachant d’un axe, assez indistinct de prime abord, d’altitude plus considérable, allant du golfe de Calvi à celui de Porto-Vecchio. […] Les montagnes de la région granitique ont une altitude supérieure à celles de la région schisteuse d’environ un millier de mètres, et un certain nombre d’entre elles conservent, au moins sur leur versant Nord, une petite quantité de neige jusqu’au cœur de l’été, tandis que celles de la région schisteuse atteignent à peine la limite supérieure de la végétation arborescente. […] La conclusion qui parait ressortir de cet exposé, c’est que la Corse granitique doit être considérée comme une immense voûte assez fortement disloquée, dont l’axe serait orienté en gros (N.-E. – S.-O.) et dont les voussoirs, ayant leurs joints parallèles à cette ligne, auraient joué les uns par rapport aux autres, ceux qui se sont surélevés par rapport à leurs voisins constituant les chainons parallèles que séparent les vallées d’effondrement. On conçoit dès lors qu’au moment des poussées intérieures correspondant à chacune des venues au jour des diverses roches et surtout de celles qui affectent plus particulièrement le mode filonien, ces fractures se soient rouvertes, constituant ainsi autant de cheminées qu’ont remplies les divers magmas. Il résulte déjà de ce qui précède que la Corse est un pays où la proportion des roches éruptives l’emporte de beaucoup sur celle des dépôts sédimentaires : toute la partie de l’Ouest du S.-O. ci-dessus décrite, soit environ les deux tiers de la surface de l’île est constituée par des roches diverses. »

Le très vieux passé volcanique qui a présidé à la formation des chaines montagneuses corses explique que la si bien nommée région de l’Alta Rocca soit essentiellement granitique dans sa constitution rocheuse.  Le Grand Atlas des roches et minéraux, paru en 2005 aux Editions Atlas, nous précise les caractéristiques de cette roche :

« Le nom granite commence à être employé dans le courant du XVIe siècle : il vient du latin granitum et fait référence à la structure granulaire de la roche.[…] Le granite est une roche magmatique intrusive de chimisme sialique, c’est-à-dire riche en silice et aluminium ; il contient plus de 65 % de silice et appartient au groupe des roches éruptives. Ses composants minéralogiques essentiels sont le quartz, l’orthose et le microcline (feldspaths potassiques), l’albite-oligoclase (plagioclase sodique) et la biotite (mica) ; ses composants accessoires sont la magnétite, la pyrite, l’apatite, le zircon, l’épidote et la tourmaline ; les accidentels sont la muscovite (mica), les amphiboles, les pyroxènes et les grenats. Comme d’autres roches éruptives, le granite a une couleur claire (blanc, gris, rose, jaunâtre, verdâtre, rouge) ; les tonalités dépendent des feldspaths potassiques qui sont normalement blancs. […] Les granites sont des roches magmatiques qui se trouvent dans des corps intrusifs particuliers (batholites) des boucliers précambriens et des bases anciennes ; ils sont présents aussi comme plutons intrus dans les roches métamorphiques ou comme filons qui traversent généralement des roches sédimentaires. »

 

Au cours de son Voyage géologique et minéralogique en Corse (1820-1821), publié dans le Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, juillet-août 1883, 31°-32° fascicules, l’Ingénieur des Mines Emile Gueymard (1788-1869) a eu l’occasion de détailler la composition minéralogique de l’Alta Rocca. Sa relation, véritable journal de bord d’une expédition qui s’effectue, à travers les routes et sentiers, chargée d’un lourd matériel de mesure, d’analyse et de conservation des échantillons, juxtapose la rigueur savante à la méditation bucolique, signature d’une époque où l’idéal encyclopédique envisageait l’approfondissement de la recherche scientifique par la réunion des domaines disciplinaires et où la réflexion s’initiait par la maîtrise technique et se développait par la grâce du style.

Il est ainsi mentionné, dès les environs d’Olmeto, à la date du 03 juin 1820 : « Les environs d’Olmeto renferment des masses d’amphibolites au milieu des granits. Elles se trouvent immédiatement au-dessus du village, en place et en gros blocs détachés ; mais comme le terrain est presque tout cultivé, on ne peut pas distinguer la nature du gisement. Il est vraisemblable que ces amphibolites forment une couche ou filon subordonné au granit qui les recèle. Dans ces roches, l’amphibole y est souvent à longs cristaux dans un feldspath ; d’autres fois, à grains assez gros, devenant ensuite presque indiscernables. La première de ces variétés est belle. Elle renferme parfois de petits cristaux de titane oxydé. Sa couleur blanche et noire me la fait proposer comme pierre de deuil, et je ne pense pas qu’elle puisse avoir un plus bel emploi que pour les mausolées et les tombeaux, sans la rendre étrangère cependant aux ouvrages de la marbrerie. »

Il continue d’observer, le même jour, sur le chemin de Sartène à Levie : « On entre dans le pays de Tallano (Olmiccia, Sainte-Lucie, Poggio etc.), qui est agréablement placé au milieu de petits bois d’olivier. On continue vers le col où se trouve la Chapelle Saint-Roch. On y rencontre la belle roche de granit siénitique semblable à celle d’Olmetto, ayant de longs cristaux d’amphibole dans un fond blanc feldspathique. De cette chapelle, on se dirige vers le petit village de Mela, qu’on laisse à droite. La nature du terrain est granitique, entrecoupé par des masses de grünstein dont on ne peut déterminer le gisement. Jusqu’à Levie, on ne voit que granit à petits grains, et confusément mélangé avec des eurites et du grünstein. On y remarque également des masses en place d’amphibole très lamelleux à grandes lames, avec feldspath gris blanchâtre. Ce pays, tout couvert de makis, s’oppose à ce qu’on puisse saisir la direction qu’affectent ces roches. Les granits ont paru quelquefois divisés par des joints dans la direction de 2h. »

Et il continue de noter, le 07 juin, de Quenza à Sainte-Lucie de Tallano : « On trouve la Rizzanese, puis on arrive à Paragino ; on se dirige sur la droite pour ne plus repasser par Levie. Jusqu’à Mela, on voit en grande quantité et en plusieurs localités la pierre de deuil, la même qu’à Paragino et à Olmeto. Comme tout le pays est couvert de makis, il est impossible de déterminer son gisement. Cependant on a la certitude qu’elle git dans les lieux où elle se trouve ou dans le voisinage, car les blocs ou masses sont anguleux. Avec de simples tranchées on trouvera ces granits siénitiques toutes les fois qu’on voudra. Comme cette roche n’est qu’à ¾ d’heure de la Rizzanese, elle pourrait encore être sciée sur ce torrent ; puis les objets fabriqués seraient transportés à dos de mulet jusqu’à la mer. De Mela à Sainte-Lucie, on suit le sentier de l’avant-veille sans faire de nouvelles observations. »

La pierre de granite dont la présence est notamment observée à Mela comporte donc de longs cristaux d’amphibole, composé rocheux qui se colore ici d’un dégradé de blanc, gris, presque noir. Le Grand Atlas des roches et minéraux confirme :

« Les amphiboles forment une famille de silicates très répandus dans la nature, caractérisé par une composition chimique variée et complexe. Leur nom vient du grec et signifie ambigu, par allusion à la grande diversité d’aspects et de compositions qu’ils présentent : on passe de variétés blanches, comme la trémolite, riches en magnésium, à des variétés presque noires, comme la hornblende, riches en fer, en passant par des variétés d’un vert plus ou moins foncé, comme l’actinolite, de composition intermédiaire. […] Les amphiboles cristallisent dans les systèmes orthorombique et monoclinique en prismes très allongés, avec un clivage typique selon les faces du prisme. Leur couleur varie selon la composition chimique, du blanc au quasiment noir ; l’éclat est vitreux et, en général, ce sont des minéraux durs et lourds. »

Nentien, dans son Etude sur les gites minéraux de la Corse, publiée à Paris en 1897, effectue la synthèse de cette composition :

« Le granite présente de belles variétés porphyroïdes, il renferme souvent de l’amphibole en même temps que du mica, et en proportion souvent assez abondante pour lui mériter la dénomination de granite à amphibole. Dans certains cas, le quartz fait défaut en même temps que le feldspath devient presque exclusivement potassique et la roche passe à la syénite. L’amphibole dans ce dernier cas est fréquemment transformée en chlorite et épidote par actions secondaires. »

Au vu de ces éléments chimiques, il est ici autorisé de proposer la dénomination de granodiorite, très proche du granite mais qui, contrairement à ce dernier, contient plus de plagioclases que d’orthose.

 

Emile Gueymard, qui déplore le peu de possibilités pour l’exploitation de mines métalliques en Corse, nuance son propos dans le domaine de l’extraction des pierres :

« Il n’en est pas ainsi pour les roches propres aux domaines de l’architecture et de la marbrerie. Les plus nombreuses et les plus belles variétés se trouvent réunies sur un petit espace et non loin de la mer. Elles sont de nature exploitable, et désormais elles doivent non seulement suffire aux besoins de la France, mais encore notre patrie conserve l’espoir de faire de grandes exportations. » Et, parmi dix-sept variétés, il en indique une septième qui se trouve dans : « Les amphibolites ou pierres de deuil d’Olmeto, de Sainte-Lucie, de Paragino et de Mela. »

Cette possibilité d’utilisation est rappelée par Francesco Costantino Marmocchi (1805-1858)  qui, dans son Abrégé de la Géographie de l’Île de Corse, paru à Bastia en 1852, déclare :

 « Mais si la Corse est privée de mines métalliques véritablement abondantes, elle est au contraire d’une richesse très grande en roches précieuses, magnifiques et rares, susceptibles d’être employées avec un grand succès dans les arts, mais jusqu’à ce jour presque complètement négligées », parmi lesquelles il cite les « amphibolites à longs cristaux d’amphibole noir, dans un feldspath blanc (M. Gueymard propose d’employer cette belle roche à la construction de mausolées) : se trouve près d’Olmetto, à une petite distance du golfe de Sartène, et dans la vallée haute du Fiumicicoli non loin de Levie et de Mela ».

Elle est encore mentionnée par l’abbé François-Antoine Girolami-Cortona (1839-1919), dans sa Géographie générale de la Corse, parue à Ajaccio en 1893, qui évoque le :

« Granit noirâtre (syénite), à Olmeto, à Levie et à Mela. Cette roche convient à la construction des mausolées. »

 

II) Hydrographie :

Le réseau hydrographique de Mela s’inscrit dans celui de la rivière du Fiumicicoli, affluent du fleuve Rizzanese, qui prennent tous deux leur source sur le territoire de la commune de Zonza.

Au Nord de la commune, prenant sa source à Acqua Sparta, vers 850 mètres d’altitude, le ruisseau de Mela s’écoule vers le Sud, coupe les routes départementales n° 268 qui joint Sainte-Lucie-de-Tallano à Levie et n° 149 qui, depuis la précédente, ralie Mela, alimente la Funtana Suttana, passe en contrebas du village, à l’Ouest, avant d’obliquer vers le Sud-Ouest, entre Ciotta et Farinaju, pour se jeter, vers Cutrone sur le territoire de Sainte-Lucie-de-Tallano, dans le ruisseau de San Polo, affluent septentrional de la rivière du Fiumicicoli.

Toujours à Acqua Sparta mais un peu plus bas, vers 800 mètres d’altitude, et à l’Est que pour le ruisseau de Mela, le ruisseau de Petra Grossa trouve doublement sa source, dont les eaux se rejoignent, après avoir formé une fourche, en contrebas de la route départementale n° 268, à l’Est d’I Pianelli, et constituent la limite orientale de la commune de Mela par rapport à celle de Levie, jusqu’au Sud-Est de Macchieta, où il est rejoint par un cours d’eau sans nom qui circule d’Ouest en Est et passe complètement sur le territoire de Levie, avant de se jeter plus au Sud dans la rivière Fiumicicoli.

Au Sud du village, peu à l’Est de la Pointe de Monte ou de Bonifacio, le ruisseau de Columbella prend sa source pour s’écouler, dans la direction Sud-Est, et former une limite plus méridionale que la précédente avec Levie, jusqu’au confluent de la rivière Fiumicicoli.

Du confluent avec le ruisseau de Columbella jusqu’à l’Ouest de Gialatula, à la limite Nord-Est de la Forêt territoriale de Valdu Grossu, la rivière Fiumicicoli traverse en Ouest, puis Sud-Ouest le territoire de la commune, qu’il coupe en deux rives, reliées par le petit pont de Cutulla.

Le ruisseau de Casavecchia, qui prend sa source vers Panicale sur le territoire de Levie, s’écoule vers le Nord, coupe la route département n° 248 qui relie Bisé à Tirolo vers la Punta di Malcunigliu, pénètre plus au Nord sur le territoire de la commune de Mela, vers 540 mètres d’altitude, et rejoint un ruisseau sans nom qui prend sa source au Sud-Ouest de Tirolo, vers Munticellu, sur le territoire de Levie et qui sert de limite entre Levie et Mela, en s’écoulant Nord puis Nord-Ouest, entre Piana et Vecchiettu.

Un peu plus au Nord du confluent de ces deux ruisseaux, au niveau de la route départementale n° 548, à 306 mètres d’altitude, leurs eaux se mêlent à celles du ruisseau de Mezzane, prenant sa source au Sud-Est de Tirolo, vers Panponichia, sur le territoire de Levie et s’écoulant vers le Nord-Ouest,  et continuent de servir de limite orientale à la commune, jusqu’à l’Est de Tagliu. Ce ruisseau grossi est renforcé par un cours d’eau sans nom, qui prend sa source vers Sale sur le territoire de Levie avant de s’écouler vers le Nord-Ouest où peu avant le confluent son lit sert au coude qu’effectue la limite territoriale.  Il est rejoint vers Gialatula, à 178 mètres d’altitude, par un autre cours d’eau sans nom, qui prend sa source peu au Nord de Foce-di-Mela puis coupe la route départementale n° 548 vers Tagliu, et se jette légèrement plus au Nord-Ouest dans la rivière Fiumicicoli.

 

III) Botanique :

La belle plume de Jean Mattei, ancien rédacteur en chef du journal associatif U Milesu, que la mort vint hélas ravir, le 17 mars 2013, à l’affection des siens et de l’ensemble des Milesi qui respectaient cet homme de sagesse et de savoir, dans un article publié en 1998, avait su résumer, avec la précision cadastrale de celui qui fit une carrière de cadre au sein de l’administration fiscale, la logique de composition du tissu végétal villageois, à la répartition étagée qui permet qu’ « on y distingue :

-           en altitude, une zone de châtaigniers,

-          dans les étages intermédiaires, ce qui reste de l’organisation des anciens potagers, vergers, prairies,

-          dans les parties basses, les zones d’oliviers, et à nouveau de potagers, vergers, prairies et anciennes vignes, notamment en bordure de la rivière.

-          Et un peu partout, il y a des bois de chênes et de sols recouverts de landes et d’épineux, qui gagnent sur les espaces jadis très cultivés. »

 

Cette répartition, à forte tonalité vivrière, répond de l’organisation traditionnelle de l’espace corse de moyenne montagne, au sujet duquel Francesco Costantino Marmocchi, dans son Abrégé de la géographie de l’île de corse de 1852, note :

 

« Dans le second climat, c’est-à-dire dans les montagnes, depuis le niveau de 580 jusqu’à 1 750 et même 1 950 mètres, les chaleurs sont plus modérées, les froids sont plus longs, plus vifs ; la nature est moins extrême, sans être moins variable. Du jour à la nuit, du matin à midi, de l’ombre au soleil, du vent à l’abri, les passages de température sont fréquents et brusques : la neige et la gelée qui se montrent dès novembre persistent quelquefois pendant 15 ou 20 jours. Il est remarquable qu’elles ne tuent point les oliviers jusqu’à la hauteur d’environ 1 160 mètres ; que même la neige les rend plus féconds. Le châtaignier qui les accompagne depuis 580 mètres, semble être l’arbre spécial de ce climat, puisqu’il finit vers 1 950 mètres, et cède la place aux chênes verts, aux sapins, aux hêtres, aux buis, aux genévriers, plus robustes contre la violence des hivers. C’est aussi dans ce climat qu’habite la majeure partie de la population corse, dispersée dans des hameaux et villages situés la plupart généralement sur des pointes et aux endroits ventilés. »

 

Il ne manque d’ailleurs pas d’ajouter, pour les espèces sauvages du couvert forestier et du maquis, dont nombre d’entre elles parent le territoire de Mela :

 

« L’Erable et le Noyer se plaisent aussi, comme le Châtaignier, dans les vallées et sur les montagnes de Corse ; les Cyprès et le Pin maritime aiment les points moins élevés ; le Chêne liège et le Chêne vert abondent dans les forêts. L’Oxicèdre, l’Arbousier, le Houx y acquièrent la taille des arbres ; et le Myrte, humble arbuste partout ailleurs, devient un véritable arbrisseau dans quelques parties de notre île. Le Pérusier et principalement l’Olivier sauvage couvrent de vastes espaces sur les collines. L’Alaterne, le Genêt d’Espagne et de Corse sont mêlés aux Bruyères d’espèces variées, mais toutes également belles : on distingue parmi elles l’Erica arborea, qui atteint souvent une hauteur peu commune. Dans les endroits périodiquement baignés par les débordements des torrents et des ruisseaux, l’élégant Genêt de l’Etna, avec ses belles fleurs d’un jaune doré, les Cystes, les Lentisques, les Térébinthes croissent partout où la terre n’est pas remuée par la main de l’homme. Il n’est pas de ravin, ni de vallée qui ne soient ombragés par le gracieux Laurier rose, dont les branches, vers les marines, se mêlent à celles des Tamaris. »

 

Dans le domaine des cultures et en dehors d’anciennes productions de quelques céréales, principalement l’orge et le seigle, légumineuses et autres légumes rustiques, il convient d’apporter quelques précisions en ce qui concerne l’arboriculture, en respectant la répartition précitée par aires descendantes relevée par Jean Mattei, extraites de la Géographie générale de la Corse de 1893 qui, dans le délicieux langage fleuri de l’abbé Girolami-Cortona, viennent éclaircir le merveilleux pittoresque insulaire.

 

Il peut ainsi, pour le châtaignier (Castanea sativa), arbre emblématique de la Corse qui occupe une place tellement à part dans toute l’île, être souligné le fait suivant :

 

« Le châtaignier était l’arbre nourricier de nos pères. Son fruit séché et moulu, donne une farine sucrée, dont on fait la polenta, du pain et des gâteaux. Les châtaigniers et les chèvres, dit Marmocchi, ont été aussi utiles à la liberté corse que le fer et le plomb car, lorsque les patriotes étaient obligés de se réfugier dans les lieux les plus inaccessibles des montagnes, et quand il y étaient bloqués par leurs ennemis, les châtaignes, le lait et la chair des chèvres les nourrissaient et alimentaient ainsi le feu sacré de la patrie et de l’indépendance nationale. Après l’occupation française, un arrêt du Conseil du Roi, en date du 22 juin 1781, défendit de planter des châtaigniers dans aucun territoire de l’île susceptible d’être ensemencé de blé ou autres grains, ou d’être converti en prairies, ou planté d’oliviers, de vignes et de mûriers. Cet arrêt fut rapporté, deux ans après, sur le rapport de l’économiste Turgot, qui constatait que les châtaigniers étaient, pour les habitants de plusieurs cantons, un moyen d’existence nécessaire, dans les temps de disette, et un objet de commerce avantageux, dans tous les temps. »

 

Les arbres fruitiers que sont les cerisiers, les poiriers et les pommiers (Malus domesticus), auxquels Mela doit son nom, se trouvent en encore grand nombre dans les anciens vergers qui entourent le village.

 

Les bois du contrebas méridional du village comprennent toujours des oliviers (Olea europea), qui peuvent pousser jusqu’à 700 mètres d’altitude, et dont il est noté pour la production insulaire de la fin du XIXe siècle :

 

« En 1890, la Corse a exporté 2 033 625 kilogrammes d’huile. La Corse, a dit Blanqui, devrait fournir la meilleure huile du monde. Elle est tout de même délicieuse, en beaucoup d’endroits, malgré les procédés rudimentaires qu’on emploie à la fabriquer. »

 

Quant aux vignes qui étaient cultivées sur les rivages du Fiumicicoli, rivière qui continue d’offrir son nom à une appellation, il peut être dit :

 

« Le vin corse était très connu et très estimé au temps des Romains. Boswell compare le vin cuit du Cap au Malaga, le vin ordinaire de la même contrée au Frontignan, le vin de Furiani au Syracuse, celui de Vescovato au Bourgogne et celui d’autres villages qu’il ne nomme point au Tokai. Actuellement, les crûs de Sari d’Orcino et de Tallano sont les plus recherchés. »

 

Mais c’est le si charmant chêne vert (Quercus ilex) qui, de ses vénérables rameaux, couvre désormais la plus grande surface de la commune de Mela. Arbre solide, sa buissonnante silhouette se forme de branches assez droites qui poussent le long d’un tronc sinueux. L. Ravel, en 1911, dans La Corse ressources de son sol et de son climat, loue son bois qui est « très dense et excellent comme bois d’ouvrage et de chauffage. Il produit un charbon de première qualité, et son écorce est une des meilleures pour le tannage des cuirs. »

 

 

IV) Zoologie :

Zone traditionnelle de pastoralisme, Mela fut, jusqu’à l’Après-Guerre et l’exode rural qui s’ensuivit, essentiellement peuplée de bergers, possesseurs de troupeaux caractéristiques à la Corse, dont la continuité d’élevage peut encore être constatée à ce jour dans toute l’Alta Rocca.

En 1911, dans son ouvrage précité La Corse ressources de son sol et de son climat, l’Ingénieur agricole L. Ravel porte témoignage des particularismes insulaires de cette activité ancestrale :

« La constitution géologique du sol a une grande influence sur la taille et le développement musculaire des animaux qui s’y nourrissent. C’est ainsi que les fourrages qui poussent dans les terres granitiques, pauvres en phosphate de chaux et non améliorées, ne peuvent nourrir que de petites races d’animaux, parce qu’ils ne contiennent pas les éléments nécessaires à la formation d’une forte charpente osseuse et musculaire. En Corse, tous les animaux domestiques se caractérisent par une taille très inférieure à celle de ceux qui vivent sur les terrains secondaires, tertiaires ou les alluvions anciennes et modernes du continent, parce que ces derniers terrains sont plus riches en chaux et en acide phosphorique que les terrains primitifs. On peut constater, en Corse même, des différences assez marquées pour des animaux de races identiques. Ceux des terrains tertiaires, quaternaires et des alluvions de la Casinca, d’Aleria, du Fiumorbo, ainsi que des terrains primaires de la Balagne, ont une taille et un poids sensiblement supérieurs à ceux qui vivent dans les régions purement granitiques des autres parties de l’île. Tous ces animaux se font également remarquer par une grande rusticité, qu’ils doivent au mode d’élevage en liberté et à l’obligation dans laquelle ils se trouvent de chercher eux-mêmes leur nourriture, toujours abondante et de bonne qualité au printemps, mais plus rare et parfois médiocre pendant les autres saisons. Durant la période de sécheresse et les trois mois d’hiver les plus froids, ils en sont souvent réduits à brouter les jeunes pousses des arbustes qui peuplent le maquis et dont la valeur nutritive est très faible. Les animaux d’espèce chevaline et bovine, non soumis à la transhumance comme les moutons et les chèvres, engraissent au printemps, maigrissent en été, reprennent un peu d’embonpoint après les pluies d’automne, le perdent en hiver et recommencent ensuite les mêmes changements d’état. On comprend que des modifications aussi fréquentes dans l’organisme doivent influer défavorablement sur le développement des animaux, qui est généralement très lent. En Corse, les animaux vivent presque tous à la belle étoile pendant toute l’année. Les écuries, étables, bergeries et porcheries y sont très rares. Les bêtes ovines, caprines et porcines sont conduites en troupeaux, sous la surveillance d’un gardien ; mais les bêtes chevalines et bovines sont livrées entièrement à elles-mêmes, et leurs possesseurs ne les visitent que de temps en temps. Chaque propriétaire de bétail bovin marque ses animaux au moyen d’une entaille particulière à l’oreille, afin de pouvoir les reconnaître. Il n’y a pas d’enclos, de sorte que les animaux peuvent aller librement partout où ils trouvent à brouter. »

 

L’exode rural et sa conséquence dans la régression des terres consacrées à l’agriculture et à l’élevage ont favorisé le maintien voire le renforcement d’espèces sauvages sur le territoire de la commune. La plupart de celles citées par Marmocchi et Girolami-Cortona, à l’exception de celles du cerf et, hélas, du mouflon se retrouvent. Il en est ainsi des : sanglier, renard, chat, belette, campagnol, loir, lièvre, hérisson, chauve-souris, lézard de Bédriaga, couleuvre, grenouille, crapaud, anguille, truite et nombre d’oiseaux comme d’insectes.

Quatre d’entre elles retiennent spécialement l’attention : le renard, et les trois citées par l’Inventaire National du Patrimoine Naturel qui les mentionne, pour la commune, dans ses observations de 1985 : l’anguille européenne, la truite de rivière et le sanglier.

Digne émule du rusé goupil du Roman de Renart, le renard apparaît comme plus fort que ses congénères continentaux. Il est, de la sorte, jugé comme « la terreur des poulaillers et s’attaque même aux brebis et aux chèvres ». La variété insulaire est d’ailleurs à classer dans le Canis melanogaster ou renard à ventre noir relevé par Charles Lucien Bonaparte, Prince de Musignano (1803-1857) dans sa Iconografia della fauna italica per le quattro classi degli animali vertebrati, parue à Rome entre 1832 et 1841.

Délices des pêcheurs, l’anguille d’Europe ou anguille commune (Anguilla anguilla), ainsi que la truite commune européenne de rivière (Salmo trutta fario) peuplent les ruisseaux de la commune.

Mais c’est le sanglier qui est le véritable roi de la forêt corse et le trophée suprême des chasseurs qui en arpentent les déclivités. Celui présent sur l’île est jugé comme génétiquement très proche du cochon domestique et est réputé pour s’accoupler avec des porcs semi-sauvages, croisement qui donne des bêtes de petite taille au pelage noir, ainsi que pour occasionner des ravages dans les cultures. La sous-espèce sauvage, qui vit dans les parties les plus fourrées des forêts, porte le nom latin de sus Scrofa sardous. Elle possède une tête semblable à celle du cochon, sans replis ou excroissances particulières, un corps d’un noir brunâtre, et des soies roides et dures particulièrement le long de l’échine. La sous-race domestique, susceptible de vivre à l’état semi-sauvage sur l’île se rattache, quant à elle, à la race napolitaine, qui est répandue depuis longtemps dans tout l’Ouest du Bassin méditerranéen, déjà connue des Romains, et se caractérise par une grosse tête, un museau pointu mais peu allongé, des oreilles courtes et droites, un cou et des jambes courts, une poitrine large et un corps arrondi couvert de soies fines et rares.

Qu’il soit complètement sauvage ou à moitié, le cochon n’en constitue pas moins l’animal le plus représenté du folklore local. L’Histoire du Cochon magique, contée dans les Contes et Légendes de l’île de Corse, ouvrage de Gabriel-Xavier Culioli, paru aux Editions DCL en 1998, vient le souligner avec poésie. Les cochons et sangliers de Corse ne supportant plus d’être offerts en sacrifice à l’appétit glouton des hommes décident, au cours d’un grand rassemblement de la race porcine insulaire, de se révolter, en plaçant à la tête de leur mouvement Porcafonu, cochon par sa mère et sanglier par son père, de la forêt de Calenzana. Celui-ci propose d’aller exposer leurs doléances à Dieu, tâche qui est confiée à un vieux solitaire de la Cinarca, qui doit se faire le plénipotentiaire de leurs intérêts auprès du Très-Haut. Se laissant abattre par le coup de fusil d’un chasseur, son âme se laisse porter par le vent de la Tramuntana jusqu’aux portes du Paradis. Fort peu gracieusement accueilli par un Saint-Pierre dérangé dans son sommeil, il est cependant conduit devant Saint-Martin, dont l’ironie à son égard le pousse à lui objecter l’ancienneté et la noblesse de sa race qui foulait déjà l’île lorsque les ancêtres du Saint se vautraient dans la soumission à la Rome païenne. La roideur de prétention du mammifère ongulé qui exige de ne parler qu’à Dieu a rapidement pour conséquence de retourner à la vie, en étant réexpédié sur terre. Afin de parvenir à attirer l’attention du Créateur du monde, Porcafonu organise, au moment de la célébration céleste de la Noël, un attentat olfactif au Paradis, par une concentration massive d’âmes sacrifiées qui en profitent pour déverser des immondices et répandre leur fumier. Au bout de quelques jours, Dieu consent à recevoir les représentants de ce nombreux troupeau. Il leur accorde d’être traité avec un plus grand respect par les hommes, qui ne pourront les tuer que sans les faire souffrir, avec considération, promeut Saint-Antoine, qui devient San’Antone di u Porcu, comme protecteur de la race porcine, et accorde à Porcufonu de rendre riche et heureux un homme par siècle. Furieux de constater la permanence des massacres subis, surtout à la période des festivités de la Natalité, par les siens, Porcafonu fixe son choix sur Roccu Salomonu, un juif émigré depuis peu dans la région de Porto-Vecchio, qui présente l’insigne avantage de délaisser la chair des siens. Légèrement agacé de tout d’abord être traité de créature jugée impure dans la Torah et d’essuyer un refus de celui à qui il veut indiquer l’emplacement d’un trésor, qui craint de par trop susciter la jalousie, Porcafonu doit négocier son don, en l’assortissant de la promesse d’une vie heureuse. Après s’être promis de choisir une autre fois un paysan aux mœurs simples qui n’entend pas négocier sa bonne fortune, Porcafonu lui accorde tout ce que Roccu Salamonu a demandé. Et, à la mort à un grand âge de ce dernier résonne la mélopée d’une pleureuse de Carbini :

« Chi luce lu Porcafonu

Andu, ci bella un vitellu

Andu, ci pasce un agnonu

Anchi li so cavadda

Si cunosconi allu sonu

Attacati alli calesci

Pruminandu lu stradonu

E po sentu di ognunu

Lu sgio Roccu Salamonu !

Et resplendit le Porcafonu

Tantôt le veau bêle,

Tantôt pait un gros agneau

Même ses chevaux Se reconnaissent à leur bruit

Attelés aux calèches

Se promenant sur la route

Et puis j’entends de chacun

Monsieur Roch Salomon ! »

 

 

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